La violence d’un capitalisme en déroute

CHILI, LE NÉOLIBÉRALISME À L’AGONIE FAIT TIRER DANS LE TAS Abonnés

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Lundi 14 octobre 2019, à Santiago du Chili, des étudiants protestent contre l’augmentation du prix du ticket de métro. Une augmentation de 3% qui peut sembler dérisoire, c’est 30 pesos chiliens, soit 3,7 centimes d’euros. Mais c’est la goutte d’eau. 

« C’est pas seulement pour 30 pesos, c’est pour les 30 années de fausse démocratie que nous nous révoltons », disent des manifestants. La colère gagne le pays. Un pays pourtant encore traumatisé par la répression des années de dictature (1973-1990), les assassinats, la torture, l’exil. Mais la jeunesse a surmonté la peur et la rue s’est soulevée. Manif bon enfant d’abord. Mais la répression est délirante. Les masques tombent. 20 000 policiers et militaires mobilisés. Le président Sebastián Piñera fait tirer dans le tas, des centaines de blessés, au moins 18 morts, des manifestants sans arme. « Nous sommes en guerre » déclare Piñera, le « Berlusconi chilien », avec sa fortune de 2,8 milliards de dollars. 

Plus de 30 ans de politiques néolibérales, comme ailleurs, comme en France, mais en plus gros. Faut-il rappeler que c’est au Chili qu’est né le néolibéralisme en même temps que la dictature de Pinochet en 1973 ? C’est ici que Milton Friedman et ses Chicago boys ont mis en place ce qui allait être un modèle indépassable pour toute la planète et qui partout a entraîné précarité, inégalités, pauvreté avec partout l’enrichissement sans précédent d’une bande de roublards cyniques.

Éducation, équipement, santé, retraites, tous les secteurs ont été privatisés. Le Chili est le pays le plus inégalitaire de l’OCDE, 1% de la population détient 25% de la richesse nationale. Un Chilien sur deux vit avec moins de 480 euros par mois - le revenu minimum -, pendant que quatre familles se partagent les richesses, avec en tête, le toujours bronzé Président Sebastián Piñera. 

Vendredi 18 octobre donc, les policiers tirent sur les étudiants mobilisés.
Dès le lendemain, les principales villes du pays se soulèvent : manifestations pacifiques et joyeuses, assemblées générales, grèves.

En réponse le gouvernement impose l’état d’urgence avec un couvre-feu à partir de 19h, une première depuis 1987, depuis la dictature. Des milliers d’arrestations arbitraires, des humiliations, de fortes suspicions d’actes de tortures commis par des « agents de l’Etat » (d’après l’Institut National des Droits Humains au Chili, auprès duquel des plaintes ont été transmises) [1].

Après avoir déclaré que le pays était « en guerre contre un ennemi puissant implacable, qui ne respecte rien ni personne et qui est prêt à faire usage de la violence et de la délinquance sans aucune limite », le président Sebastian Piñera soudain se ravise et vient faire ses excuses au peuple chilien, demandant pardon, avec la franchise d’un mafieux de série B [2]. Sans doute sous la pression internationale ?

Des excuses qui arrivent trop tard.

Mardi 22 octobre, alors que son discours était diffusé à la télévision chilienne, la vidéo d’un homme tué froidement d’une balle dans la tête par un militaire circulait sur les réseaux sociaux.

Des mouvements se multiplient à travers le monde pour les mêmes raisons : le pouvoir d’achat, les inégalités, la précarité, le mépris. Avec les morts du Chili comme avec les yeux et les mains arrachées des Gilets Jaunes depuis un an, nous entrons dans une nouvelle séquence où la violence d’un capitalisme en déroute n’est plus seulement symbolique. Le Chili de Pinochet a montré que le néolibéralisme était non seulement compatible avec la dictature mais que c’était là le meilleur cadre pour faire son bonheur et prospérer à sa guise.

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