En quelques secondes, il est devenu pour toujours l’emblème de la lutte des « gilets jaunes ». La « lutte » oui, littéralement, de face, à coups de poing contre des policiers, casqués, armés, blindés, effarés.
Les images ont fait des millions de vue dans le monde, le boxeur Christophe Dettinger est devenu un héros d’autant plus populaire que le pouvoir l’a traité avec une violence aussi hargneuse que méprisante. Une « attaque aussi lâche qu’intolérable » pour le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner [1]. Emmanuel Macron, lui, a préféré l’injure raciale : « le type, il n’a pas les mots d’un Gitan. Il n’a pas les mots d’un boxeur gitan [2]. »
Certains médias, emboîtant le pas à France Inter, ont même accusé - sans fondement – Christophe Dettinger d’avoir « utilisé des gants coqués, lestés de plomb », sous-entendant que son geste avait été prémédité [3]. France 2 a repris la fausse information en citant une « source policière ». Et des représentants d’organisations policières la relaient, comme le secrétaire général adjoint du syndicat des cadres de la sécurité intérieure, et la secrétaire nationale de SGP Police. La rubrique CheckNews de Libération rappelle pourtant « qu’au moment où les journalistes de France 2 et de France Inter communiquent, le 7 janvier, les gants ont été retrouvés (ils l’ont donc été la veille), et les enquêteurs savent donc qu’il ne s’agit que de gants ordinaires [4]. » France 2 et France Inter n’ont publié aucun rectificatif.
Mais les médias ne se sont pas contentés de ces approximations destinées à salir : dès le lendemain de son interpellation, une cagnotte sensée payer les frais de justice de Christophe Dettinger a été dénoncée, puis fermée par l’opérateur Leetchi (Crédit Agricole) à la demande notamment de Marlène Schiappa et d’autres politiques. Les donateurs lésés ont déposé plainte pour abus de confiance, et le parquet de Paris a ouvert une enquête le 9 mai dernier [5]. Aujourd’hui, ces donateurs sont convoqués un à un pour répondre à des questions du type : « Pour quelles raisons avez-vous souscrit un don à cette cagnotte ? »...
La brutalité de la répression générale marque un virage très net vers un libéralisme autoritaire. C’est ce que décrit Antoine PEILLON avec CŒUR de BOXEUR. Un boxeur qui est devenu la figure d’un profond soulèvement social qui n’en a pas fini de dérouter et d’effrayer les élites, les experts et les stratèges politiques, mais qui a déjà le mérite infini de nous avoir fait vivre ces instants si rares où la peur change de camp. Des instants que le bon peuple n’oublie pas plus qu’un premier baiser dans un ascenseur. Un commencement, une promesse. C’est beaucoup.
Un entretien de Daniel Mermet avec Antoine Peillon, journaliste à La Croix, auteur du livre Cœur de boxeur. Le vrai combat de Christophe Dettinger (Les Liens Qui Libèrent, 2019).