Leurs revenus sont supérieurs à 80 % de la population française, et ils cumulent un patrimoine (immobilier, actifs financiers…) disproportionné par rapport au reste de la population. Pourtant, c’est comme si les 20 % les plus riches de France étaient dans l’angle mort des programmes de gauche, qui prétendent réduire les inégalités. On préfère se focaliser contre les 1 % d’ultra-riches, légitimement soupçonnés de sécessionnisme vis-à-vis du reste de la société. Louis Maurin, le co-fondateur et directeur de l’Observatoire des inégalités, dénonce cette injustice, et met aussi à nu l’hypocrisie des classes bourgeoises et intellectuelles qui dénoncent les inégalités de race ou de genre, tout en passant les inégalités économiques et sociales sous silence.
En France, 5 millions de personnes vivent au-dessus du seuil de richesse fixé à 3 500 euros par mois (après impôts, et pour une personne seule) selon l’Observatoire des inégalités [1]. C’est 8 % de la population. Et les inégalités de patrimoine ne sont pas en reste : les 10 % les plus fortunés concentrent 46 % du patrimoine de l’ensemble des ménages. Pourtant, même après les « gilets jaunes », et même après la crise du Covid qui a mis en évidence de profondes inégalités sociales de santé, c’est un angle mort des discours politiques, y compris de la gauche. On ne parle plus que d’égalité des chances et de destin [2].
« Heureusement qu’on a supprimé cette aberration de taxer la réussite quand elle réinvestit sur notre tissu productif », pouvait dire Emmanuel Macron à propos de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), devant la presse quotidienne régionale, le 28 avril 2021 [3]. C’est vrai, quoi ! Pour que la richesse ruisselle, il faut bien qu’elle s’accumule dans les coffres-forts des plus riches… On attend vainement depuis son élection les effets de cette mesure sur l’économie réelle et les fins de mois difficiles des 8 % de la population qui vivent dans la pauvreté, avec moins de 867 euros par mois. Y a-t-il un lien avec le fait que la France est le pays d’Europe où les 1 % les plus aisés ont le niveau de vie le plus élevé [4] (hormis la Suisse) ? Tempête sous un crâne.
Juste en dessous de cette minorité ultra-riche adepte des yachts et des jets privés, les classes aisées se la coulent douce dans l’indifférence la plus totale des vigies de l’égalité. C’est cette aberration-là que critique Louis Maurin, le directeur de l’Observatoire des inégalités, auteur d’un Rapport sur les riches en France [5].
Dans son livre Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez (Plon), il note que ces privilégiés poussent l’audace jusqu’à tenir un discours contre les discriminations femmes/hommes ou raciales – tout ce qui peut faire « bien », et passer sous silence leur propre domination économique. Il s’en explique en détails, et chiffres à l’appui, dans cet entretien.
Un entretien de Mathieu Dejean avec Louis Maurin, co-fondateur et directeur de l’Observatoire des inégalités, qui publie Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez (Plon, 2021).