La gifle subie par Emmanuel Macron s’inscrit dans une montée de l’extrême droite sous toutes ses formes. En choisissant la peur sécuritaire, dans le cadre de son marketing électoral, le gouvernement actuel favorise clairement cette surenchère qui s’étale avec succès dans les médias comme dans la vie courante.
Ainsi, tout récemment, la « tribune des militaires » publiée par le magazine d’ultra-droite Valeurs actuelles (auquel Emmanuel Macron avait d’ailleurs accordé un important entretien) : « guerre civile », « intervention de nos camarades d’active », « hordes de banlieue », « valeurs civilisationnelles »… C’est peu de dire que cette « tribune des militaires » a fait grosse impression. Faut-il prendre au sérieux ces galonnés à la retraite tout droit sortis d’une BD de Cabu ou de Gotlib ? Y a-t-il vraiment 58 % de l’opinion qui les soutient ? Et plus généralement, que faire devant cette extrême droite de plus en plus déboutonnée ? Éléments d’explications et de décryptage avec Claude Angeli du Canard enchaîné, l’économiste Claude Serfati et le général à la retraite Hugues de Courtivron.
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- [EXTRAIT] Gifle et bruit de bottes : l’extrême droite déboutonnée [RADIO]
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Rarement la « grande muette » a été aussi bavarde. Depuis un mois et demi, des militaires sortent de leur réserve avec fracas. Tout a commencé par une tribune signée par 20 généraux, « pour un retour de l’honneur de nos gouvernants », publiée sur le site d’ultra-droite de Valeurs actuelles. L’antiracisme, les « hordes de banlieue » et le « laxisme » des politiques sont dans le viseur des haut gradés, qui n’excluent pas qu’une intervention de leurs « camarades d’active » (pas à la retraite, donc) soit nécessaire afin d’éviter… une « guerre civile ».
Et le texte est publié un 21 avril : un double symbole éloquent, c’est à la fois l’anniversaire du putsch d’Alger du 21 avril 1961, et celui de l’accession de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle le 21 avril 2002.
Aussitôt, Marine Le Pen (pas si dédiabolisée que ça) invite les signataires à se « joindre à [son] action pour prendre part à la bataille qui s’ouvre ». Le sommet de l’État, lui, réagit tard, et mollement. Certains à gauche, comme Jean-Luc Mélenchon, prennent l’affaire très au sérieux, y voyant l’action d’une frange « factieuse » de l’armée, qu’il faut neutraliser. Pour les militaires et pour Valeurs actuelles, l’essentiel, c’est qu’on parle d’eux. Et ça marche. C’est ce qui s’appelle une opération politico-militaire rondement menée [1]. Valeurs actuelles doublera même son coup médiatique en publiant un deuxième texte le 9 mai : une pétition de soutien à la tribune, signée par des militaires d’active anonymes…
Mais faut-il lire entre les lignes un risque de sédition dans l’armée ? Ou bien un soutien à Marine Le Pen pour 2022 ? Plume modeste et géniale du Canard enchaîné, spécialiste des questions de défense, Claude Angeli nous explique que ces tribunes ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les militaires sont sous l’emprise des idées de l’extrême droite, et assument désormais d’agir « comme un lobby ».
Il nous révèle l’existence d’un rapport du « cercle de réflexion interarmées » (CRI) autrement plus inquiétant. Signé par des officiers généraux et des officiers supérieurs, il a été envoyé le 14 avril à tous les présidents des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu’aux ministres des Armées et de l’Intérieur. Ce qu’ils écrivent témoigne de leur perméabilité à la théorie du « grand remplacement » de Renaud Camus.
Claude Serfati, membre de l’IRES (Institut de recherche économique et sociale) et auteur du livre Le Militaire. Une histoire française (éditions Amsterdam), abonde : ce rapport est « plus représentatif des mouvements profonds au sein de l’armée » que les tribunes qui ont fait tant jaser [2].
Un reportage de Mathieu Dejean, avec Claude Angeli, Claude Serfati et Hugues de Courtivron.
Programmation musicale :
Armand Mestral : Ce que c’est qu’un drapeau