Un entretien de Daniel Mermet avec Philippe Poutou

FORD : POUR POUTOU, C’EST PAS FOUTU ! Abonnés

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Tout semble perdu pour les 850 salariés de Ford. La production s’arrête en août et les lettres de licenciement arrivent en septembre. Pourtant, ils sont quelques-uns à y croire encore. Ce qui n’a pas été obtenu par la mobilisation ni par l’intervention de l’État, ils espèrent l’obtenir par la justice. Un jugement doit être rendu le 02 juillet. C’est ce que vient nous expliquer aujourd’hui Philippe Poutou :

C’est sans doute la dernière cartouche, mais c’est surtout une résistance exemplaire face à la résignation qui s’étend partout. On s’indigne, certes, on ne fait même que ça, s’indigner. On s’indigne et on se résigne, tout comme Alain Juppé, tout comme Bruno Le Maire qui semblait à deux doigts de proclamer la réquisition [1] ! Mais à deux doigts quand même.

Indignez-vous, résignez vous.

Ce cynisme s’inscrit dans la politique de renoncement de l’État face au « marché », c’est-à-dire face au triomphe du profit sans bornes depuis plus de quarante ans, depuis les licenciements de masse de Denain et de Longwy en 1978. En septembre 1999, à propos de l’annonce de 7 500 licenciements chez Michelin, le Premier ministre socialiste Lionel Jospin déclarait : « il ne faut pas attendre tout de l’État (…). Je ne crois pas que l’on puisse administrer, désormais, l’économie. (…) ce n’est pas par la loi, ce n’est pas par des textes, ce n’est pas par l’administration que l’on va réguler l’économie aujourd’hui, même si l’économie a besoin d’être régulée. » Et sa conclusion venait du cœur : « tout le monde admet maintenant l’économie de marché, toutes les forces politiques françaises pratiquement – sauf peut-être l’extrême gauche dont je ne sais pas comment elle ferait fonctionner l’économie [2]. »

Or le marché, c’est la guerre. Goodyear, Continental, Whirlpool, GM&S, Sanofi, Alstom… sont les lieux de batailles de cette guerre sociale qui a déjà fait des centaines de milliers de victimes dans ce pays, pour le plus grand bénéfice à la fois de l’oligarchie régnante et de sa partenaire, l’extrême droite. Une guerre, oui, avec ses collabos et ses résistants et ce vaste ventre mou indigné et résigné devant la fatalité. Lors de la fermeture de Renault à Vilvorde en 1997, Jacques Chirac avait eu des mots lumineux en réponse à un journaliste : « vous dites : "vous fermez les usines". Naturellement, c’est aussi, hélas, la vie. Je ne parle pas de la manière de faire sur laquelle on peut avoir des commentaires, je n’en ferai pas ici car je n’ai pas l’habitude de parler à l’étranger des problèmes français, mais c’est la vie. Les arbres naissent, meurent. Les plantes, les animaux, les hommes… les entreprises. »

Alors, pourquoi résister ?

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La sociologue publie « Les riches contre la planète. Violence oligarchique et chaos climatique ». Entretien Monique Pinçon-Charlot : « Dans tous les domaines de l’activité économique et sociale, les capitalistes ont toujours, toujours, toujours des longueurs d’avance sur nous » AbonnésVoir

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La sociologue Monique Pinçon-Charlot, qui a longtemps analysé avec son mari Michel Pinçon les mécanismes de la domination oligarchique, publie un nouveau livre sur le chaos climatique et elle n’y va pas avec le dos de la cuiller en bambou. Entretien.

Les riches détruisent la planète, comme l’écrivait le journaliste Hervé Kempf. On le sait. Ils le savent. Ils le savent même depuis bien longtemps ! Le nouveau livre de Monique Pinçon-Charlot risque de ne pas plaire à tout le monde. Dans Les riches contre la planète, elle raconte comment une poignée de milliardaires est en train d’accumuler des profits pharaoniques en détruisant la nature, les animaux, les êtres humains et finalement toute la planète, menacée par les émissions de gaz à effet de serre.

Mais surtout, la sociologue analyse comment l’oligarchie, qui a toujours eu une longueur d’avance, organise, encadre et finance sa propre critique et ses contestataires. Histoire que l’écologie ne soit pas un frein au business, mais au contraire l’opportunité de développer de nouveaux marchés selon une « stratégie du choc » décrite par la canadienne Naomi Klein. Le capitalisme fossile est mort ? Vive le capitalisme vert !

Alors que faire ? Arrêter de parler d’« anthropocène », ce n’est pas l’humanité tout entière qui est responsable du dérèglement climatique, mais de « capitalocène », la prédation du vivant étant consciemment exercée par quelques capitalistes des pays les plus riches. Ensuite comprendre ce que masquent les expressions « transition écologique  », « neutralité carbone » ou encore « développement durable » forgées par le capitalisme vert. Et surtout lire d’urgence le livre de Monique Pinçon-Charlot pour prendre conscience que les mécanismes de la domination oligarchique s’immiscent partout, y compris là où on ne les attendait pas…

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« Par milliers, les Algériennes et les Algériens furent humiliés, spoliés, déplacés, enfumés, massacrés, décapités... » Il faut connaître cette époque pour comprendre la suite de la colonisation et son dénouement tragique. Dénouement que certains n’acceptent pas et qui le ravivent comme une amputation. Pourtant recherches, témoignages et reportages au cours des dernières années semblaient avoir apporté les moyens d’un apaisement des mémoires. Mais une extrême droite revancharde et négationiste, dotée de forts moyens médiatiques, gagne du terrain. Face à la concurrence des rentes mémorielles, il est donc nécessaire de mieux connaître cette sombre sanglante histoire. Aussi ROSA MOUSSAOUI interroge ALAIN RUSCIO, un des meilleurs historiens du fait colonial qui publie une somme passionnante à La Découverte.

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Depuis longtemps on se répète : « on sait pas ce qu’on veut, mais on sait ce qu’on veut pas ». Si Lordon reprend la formule, c’est tout d’abord pour dire que ce qu’on ne veut pas, c’est le capitalisme. Nous n’avons plus le choix, c’est lui ou nous, il n’y a plus d’arrangement possible. Comme dit un AMG, « repeindre le capitalisme en noir ne suffit plus ». Oui, c’est vrai, déplorer, dénoncer, condamner, s’indigner à longueur d’année nous conduit à l’impuissance et à la résignation, c’est-à-dire là où nous sommes aujourd’hui.