À la mémoire d’Éric Hazan (1936-2024) (Vidéo et podcast | durée : 34’21)

Éric Hazan a passé l’arme à gauche, donc la lutte continue !

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« Subvertir l’ordre existant ». Voilà quel était le but d’Éric Hazan. Avec quelle arme ? Des livres. L’ordre existant mais lequel ? Subvertir mais comment ?

Sans donner toutes les réponses, Éric Hazan a quitté ce monde le six juin, le jour-même où l’Amérique venait le libérer dit-on ce monde, en débarquant jadis sur la côte normande. Il y a un rapprochement à faire entre ce petit homme debout face à cet enfer de feu, de fer, d’acier, de sang. Un petit homme avec un livre.

Un livre délivre. Voilà sa conviction. Il y a des précédents dans l’histoire, suffisamment pour vous donner envie d’éditer des livres qui délivrent. Mais lesquels ? Voilà à quoi il a passé toute une partie de sa vie. Éditer des livres, écrire des livres, parler des livres.

Parler des livres, c’est ce qu’il a fait souvent en venant Là-bas. Dans les semaines qui viennent nous allons rediffuser toutes ces émissions où il est venu avec Bensaïd, Badioux, Segré ou Lordon. Et avec lui, parlant de Robespierre, de la Révolution ou de Paris dont il était un intime. « Moi je suis un parigot », il aimait dire ça.

Mais aujourd’hui voilà une émission en 2018 au Lieu-Dit, avec Éric donc et Nicolas Norrito des éditions Libertalia pour célébrer les 20 ans de La Fabrique. Il y a aussi l’excellent Fred Alpi qui termine en chantant « Don’t mourn, organize » en hommage à Joe Hill, le grand syndicaliste et poète condamné à mort à tort et exécuté le 19 novembre 1915. « Don’t mourn organize » est sa dernière volonté, qu’on peut traduire par : « Ne vous lamentez pas, organisez vous pour lutter ».

Je revois Éric tout heureux d’entendre ça avec le public et les amis. Moment heureux et précieux, à sa mémoire et en amitié avec l’équipe de la Fabrique.
D.M.

Une émission enregistrée en public au Lieu-Dit avec, autour de Daniel Mermet, Éric Hazan, des éditions La Fabrique, Nicolas Norrito des éditions Libertalia et Fred Alpi, auteur de Cinq ans de métro (Libertalia, 2018).


Voir la vidéo :


Écouter l’émission :

La Fabrique : 20 ans d’édition, et ce n’est qu’un début !



Vingt ans de Fabrique

Cela fait vingt ans qu’Éric Hazan, après une première vie comme chirurgien cardiaque puis une deuxième vie à la tête des Éditions Hazan (fondées par son père), édite une douzaine de livres par an à La Fabrique : le Comité invisible, Rancière, Bensaïd, Badiou, Lordon, Edward Saïd, Kristin Ross, Zygmunt Bauman… Une tentative modeste de « subvertir l’ordre existant ». Mais que peuvent vraiment, dans la guerre des idées, les « petits » éditeurs face aux mastodontes en tête de gondole ? Attention, un moustique qui pique le nez du conducteur peut faire balancer un car plein de CRS dans le ravin.

Merci à Hossein et à toute l’équipe du Lieu-Dit.

Musique, devant le public du Lieu-Dit :
 Fred Alpi : On n’est pas là pour se faire engueuler
 Fred Alpi : Cinq ans de métro
 Fred Alpi : Organize

 Quelques mots sur François Maspero 

Eric Hazan avait une grande admiration et une grande amitié pour l’éditeur et écrivain François Maspero (1932-2015) dont il s’est inspiré par son propre travail.
Quelques années après l’ouverture de la librairie La Joie de lire, rue Saint-Séverin à Paris en 1957, François Maspero créé les Éditions Maspero. 1 350 bouquins édités pour un tirage total de 10 millions d’exemplaires en 23 ans : Frantz Fanon, Che Guevara, Malcolm X, Louis Althusser, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet...

Des armes pour la lutte, publiées malgré les oppositions politiques, malgré les bombes, malgré les interdictions, malgré les saisies ou les amendes. En 1974, la Joie de Lire a du fermer suite à des « vols révolutionnaires » organisés par des gauchistes radicaux qui traitaient Maspero de « commerçant de la révolution ». Cette maladie infantile n’a pas cessé de faire des dégâts dans les milieux de gauche rendant toute entreprise impossible.

Auparavant en 1970, François Maspero évoquait devant la caméra de Chris Marker son travail d’éditeur, pour le court-métrage Les Mots ont un sens (produit par SLON, la Société pour le Lancement des Œuvres Nouvelles).


Nous reproduisons ici le communiqué de nos amis des éditions La Fabrique :

La fabrique est orpheline.

Nous avons appris le décès hier matin d’Éric Hazan, son fondateur en 1998 et celui qui depuis vingt-cinq ans a construit de ses mains larges et accueillantes son catalogue, livre après livre.

Né à Neuilly-sur-Seine en 1936 dans une famille juive, d’une lignée d’éditeurs et d’imprimeurs, Éric se tourna vers la médecine et une carrière de chirurgien à Paris durant laquelle il révolutionna la discipline en réalisant le premier pontage coronarien en Europe et en charpentant son versant pédiatrique. En 1983, il reprit les éditions d’art Hazan fondées par son père auxquelles il donna un second souffle. La fabrique fut la dernière aventure de sa vie professionnelle, sa maison, où il a accueilli tant d’ami•es et dont il a parfait les fondations pour résister aux tempêtes. Une maison qu’il a su au fil des ans imposer dans le paysage, sans rien céder de son indépendance ni de son audace, avant, délicatement, de laisser la main.

Israël-Palestine, l’égalité ou rien (Edward Said), L’édition sans éditeurs (André Schiffrin), Aux bords du politique (Jacques Rancière), Pour en finir avec la prison (Alain Brossat), Pour le bonheur et pour la liberté (Robespierre) : ces titres parmi les premiers qu’il a publiés, il faut bien les lire car ils disent au fond l’essentiel de ses engagements, de son style, de son optimisme aussi qui le gardait d’accorder trop d’importance à l’ennemi.

Il souhaitait publier des livres qui soient des armes, des livres qui fassent bouger les lignes, et il fut toujours aux côtés des luttes : celles des filles voilées, du peuple palestinien, des camarades traqués par l’antiterrorisme ou matraquées par la police, de ses auteurs et autrices calomniées par la morale réactionnaire. S’il s’étendait rarement sur ses propres activités militantes qui le menèrent dans sa jeunesse en Algérie puis au Liban auprès du FLN et des luttes anticoloniales, s’il en avait trop vu pour afficher une préférence partisane, son camp était celui d’un communisme singulier, sans chef ni parti. Un communisme de l’amitié, intransigeant et généreux, qui rassemblait sous sa bannière mille compagnons, de Walter Benjamin à Robespierre et aux insurgés anonymes de juin 1848.

Toutes celles et ceux qui ont travaillé à ses côtés savent à quel point il soignait les livres, depuis l’ébauche jusqu’aux tables des librairies, où il était un flâneur assidu. Sa fermeté comme sa bienveillance, sa sagesse et son toupet ont fait de La fabrique ce qu’elle est, une inspiration pour une séditieuse génération d’éditeurs et d’éditrices qu’il a vue éclore avec joie. Lui qui savait tant de choses était si humble devant le savoir des autres.

Il faut dire enfin combien il a pris soin de transmettre. Que ce soit dans ses écrits où, au détour d’une rue parisienne, il partageait la mémoire des combats de la Révolution française ou de la Commune de 1871, celle d’une histoire juive révolutionnaire à jamais irrécupérable par un État génocidaire ; que ce soit dans ses échanges avec les apprentis éditeurs et éditrices auxquel•les il confiait les ficelles du métier et le chemin pour aboutir à un livre ; que ce soit avec nous qui l’avons accompagné et à qui il a tout enseigné, tout donné, même la maison d’édition.

Nous sommes orphelin•es mais son héritage nous protège en ces temps obscurcis où les monstres qu’il a toujours combattus se dressent sous les formes les plus obscènes.

« Si une petite maison d’édition comme La fabrique a un rôle, c’est celui de travailler au démontage de ces bobards. Tous nos livres, qu’ils traitent de la démocratie, de l’immigration, de la Palestine ou de l’insurrection qui vient, ont le même but : montrer où passe la véritable ligne de front. »

Stella Magliani-Belkacem et Jean Morisot

6 juin 2024

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Alors que faire ? Arrêter de parler d’« anthropocène », ce n’est pas l’humanité tout entière qui est responsable du dérèglement climatique, mais de « capitalocène », la prédation du vivant étant consciemment exercée par quelques capitalistes des pays les plus riches. Ensuite comprendre ce que masquent les expressions « transition écologique  », « neutralité carbone » ou encore « développement durable » forgées par le capitalisme vert. Et surtout lire d’urgence le livre de Monique Pinçon-Charlot pour prendre conscience que les mécanismes de la domination oligarchique s’immiscent partout, y compris là où on ne les attendait pas…

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Depuis longtemps on se répète : « on sait pas ce qu’on veut, mais on sait ce qu’on veut pas ». Si Lordon reprend la formule, c’est tout d’abord pour dire que ce qu’on ne veut pas, c’est le capitalisme. Nous n’avons plus le choix, c’est lui ou nous, il n’y a plus d’arrangement possible. Comme dit un AMG, « repeindre le capitalisme en noir ne suffit plus ». Oui, c’est vrai, déplorer, dénoncer, condamner, s’indigner à longueur d’année nous conduit à l’impuissance et à la résignation, c’est-à-dire là où nous sommes aujourd’hui.