Ferrat, c’est nous. La montagne, c’est chez nous, les marins de Potemkine, c’est nos frères, ma môme, c’est la mienne, la nuit et le brouillard, c’est en nous, c’est nous qui ne guérissons pas de notre enfance, c’est nous qui aimons à perdre la raison. La Commune, Aragon, Robespierre et le vieil Hugo, c’est nous, les camarades et le goût du bonheur, c’est nous. La France de Ferrat, celle qui rêve et qui lutte pour que vienne enfin le temps des cerises, c’est nous.
Nous, oui, et on n’est pas seul. Depuis longtemps, c’est beaucoup de France qui se sont reconnues dans Ferrat, depuis plus de soixante ans, beaucoup de France qui – littéralement, exactement – n’en finissent pas de le reprendre « en cœur », léger ou grave, lyrique ou cinglant, savant et populaire à la fois. Beaucoup de France, le poing serré, les bras ouverts, et qui n’arriveront jamais à faire la différence entre le battement de l’amour et l’amour de la Résistance.
Oui, Ferrat, c’est nous.
Daniel Mermet
Il y a dix ans, le 13 mars 2010, Ferrat prenait le dernier train. Dix ans, mais le temps n’efface pas sa popularité. En cette année où l’on va célébrer de Gaulle et sa « certaine idée de la France », il faudra évoquer l’idée très différente que Jean Ferrat osa opposer au tout puissant général.
Sortie en 1969, sa chanson « Ma France » fut interdite par l’ORTF pendant deux ans. Motif ? Une attaque insupportable contre le pouvoir gaulliste. « Cet air de liberté au-delà des frontières (…) dont vous usurpez aujourd’hui le prestige », ou encore, cette France, « celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs ». Oui, pour ces mots-là, il fut interdit d’antenne nationale. On ne remerciera jamais assez les censeurs de l’ORTF d’avoir fait d’un simple chansonnier un immense poète populaire. Il fallut attendre la mort de De Gaulle pour que la chanson passe sur les antennes et que Jean Ferrat soit à nouveau invité sur les plateaux. Pas longtemps. En 1972, il claquait la porte du show-biz et partait pour son Ardèche. Sans rancune et même inquiet de ne plus être interdit. « Quand on n’interdira plus mes chansons / Je serai bon à jeter sous les ponts ».
En partant il y a dix ans, Jean Ferrat laissait les 200 chansons qu’il a enregistrées. À côté des titres qui font partie de nos vies, il reste beaucoup à découvrir. En 1985, pour la sortie de Je ne suis qu’un cri, sur des textes de son ami Guy Thomas, Antenne 2 présentait Ferrat 85, un entretien de Bernard Pivot avec Jean Ferrat, chez lui à Antraigues avec une quinzaine de chansons – dont certaines restent une découverte. À noter, « La Porte à droite », où Ferrat dénonce le « tournant de la rigueur » de 1983, c’est-à-dire la conversion de la gauche socialiste au néolibéralisme…
réalisation : Nicolas Ribowski
Vous pouvez aussi (ré)écouter notre émission du 15 mars 2010, la plus écoutée de l’histoire de Là-bas !
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- [RADIO] Hommage à Jean Ferrat [15 mars 2010]
- Écouter dans une nouvelle fenêtre
réalisation : Khỏi Nguyen et Raphaël Mouterde
Programmation musicale :
Jean Ferrat : Camarade
Jean Ferrat : Ma môme
Jean Ferrat : Nuit et brouillard
Jean Ferrat : Que serais-je sans toi
Jean Ferrat : Pauvres petits c…
Jean Ferrat : Les jeunes imbéciles
Jean Ferrat : Le bilan
Jean Ferrat : 17 ans
Jean Ferrat : Un air de liberté
Jean Ferrat : La porte à droite
Jean Ferrat : Les cerisiers
En 1963, la Radiodiffusion-télévision française interdisait « Nuit et Brouillard », de Jean Ferrat. 55 ans plus tard, en 2018, lors de l’hommage à Simone Veil au Panthéon, de jeunes gens reprenaient « Nuit et Brouillard », en chœur et en langue des signes :