Les médias fonctionnent comme la grande ardoise magique. Chaque jour efface les nouvelles de la veille, chaque heure, chaque minute gomme la précédente et nous gave d’insignifiance et d’oubli.
Un exemple ?
Le NON au référendum de 2005. Un événement politique majeur qualifié de « séisme » à l’époque. Quinze ans après, aujourd’hui même, qui évoque la victoire du NON au traité de constitution européenne, le TCE, le 29 mai 2005 ? Un rejet massif, clair et net de l’Europe libérale et du libéralisme en général. 55 % d’électeurs disaient NON à tout un monde, à toute une classe, à Sarkozy et Hollande militant ensemble en se souriant à la une de Paris Match. NON aux experts et aux maîtres à penser, et surtout une énorme gifle pour la quasi totalité du monde médiatique qui militait avec ferveur, du matin au soir, pour le oui. Les partisans du oui avaient bénéficié de 71 % des interventions dans les médias télévisés entre le 1er janvier et le 31 mars 2005 [1].
Face à ces authentiques militants, nous avons été les seuls sur France Inter a faire entendre des voix opposées. Nous devions le payer cher, puisque l’année suivante, l’émission fut déplacée à une heure de moindre écoute. Selon le directeur, nous avions « dépassé les bornes de l’impertinence ». Manque de chance pour la direction, les auditeurs nous ont rejoints très nombreux sur cette horaire par la suite.
Avec une majorité d’électeurs des milieux populaires, ce NON fut clairement un vote de classe et ceux que l’historien Gérard Noiriel appelle les « professionnels de la parole publique » exprimèrent colère et mépris envers ce peuple imbécile, qui rappelait les heures les plus sombres.
Par la suite, par des entourloupes à peine dissimulées, baptisées « traité de Lisbonne », le NON fut changé en OUI, lors du congrès de Versailles en 2008. Gangrené par « le populisme, de gauche comme de droite », le peuple avait mal voté. Les bergers dont nous sommes les moutons firent tout pour nous remettre sur le droit chemin. Mais cette trahison a entraîné défiance profonde et abstention. Les Français n’avaient pas oublié ce qu’ils avaient appris au cours des débats passionnés menés partout, tout au long de la campagne pour le référendum.
Après cette trahison des élites, délocalisation et désindustrialisation augmentèrent en France. Impuissance feinte ou bien réelle de l’État, la perte de souveraineté a entraîné un scepticisme croissant envers cette Europe. Une récente étude de l’institut Jacques Delors titrait : « les Français et l’Europe, entre défiance et ambivalence ». Tendance lourde depuis la crise de 2008, selon cette étude, 58 % des Français « ne font plutôt pas confiance » à l’Union européenne, ce qui nous place juste derrière le Royaume-Uni [2] .
Mais depuis mai 2005, la machine à oublier a fait son travail.
Dommage. Car, on peut se le dire entre nous, nous ne gagnons pas très souvent. Comme consolation, on peut se dire que nous ne savons pas célébrer nos victoires, ce qui est bien possible.
Mais évoquer ce NON, c’est se regonfler et se redonner confiance dans notre capacité à retourner la table des maîtres et de leurs chiens de garde, et d’embarquer le festin et l’argenterie.
Aussi, voici en podcast une nouvelle diffusion de deux émissions sur la façon dont les médias traitaient ce référendum, avec Serge Halimi et Pierre Rimbert, questionnés par Giv Anquetil :
Programmation musicale :
– Jean Philippe : Oui, oui, oui, oui
– Bach Et Laverne : T’y dis t’y oui
– Compagnie Jolie Môme : Le Mouton noir
Merci à Serge Halimi et à Pierre Rimbert.