
(photo : Kurdish PKK Guerilla, 8 août 2014, Flickr officiel du YPG)
À la lâcheté, Emmanuel Macron et ses amis ajoutent le mensonge. En faisant mine de décréter l’arrêt de la livraison d’armes à la Turquie, ils savent parfaitement que l’offensive était prévue depuis longtemps et que la Turquie a largement prévu ce qui lui est nécessaire pour massacrer les Kurdes de Syrie. Comme ses amis Trump et Johnson, Macron savait que le retrait de la coalition serait le feu vert pour l’offensive turque contre ceux du Rojava qui ont vaincu Daech héroïquement : les FDS, les Forces Démocratiques Syriennes. Oui, héroïquement, au sol, au casse-pipe. La coalition se limitait aux interventions aériennes, c’est moins dangereux.
Les attentats de novembre 2015 à Paris ont été conçus à Raqqa, capitale du califat, par les fins stratèges de l’« État islamique ». Deux ans plus tard, en novembre 2017, après quatre mois de combat, dans une ville détruite à 80 %, les Forces Démocratiques Syriennes libéraient Raqqa, Daech était vaincu. Et c’est aujourd’hui ces combattants-là, et aussi la population civile, femmes et enfants, que la coalition abandonne aux chars et aux bombes de Monsieur Erdoğan.
Monsieur Erdoğan, sa bête noire, c’est les Kurdes. Si l’extermination n’était pas aussi mal vue de nos jours, c’est une solution qu’il aurait sans doute aimé envisager. Les Kurdes, c’est compliqué, c’est toute une histoire, mais pour Monsieur Erdoğan, c’est simple, pas de Kurdes, plus de Kurdes.
Monsieur Erdoğan a un argument de poids pour que personne ne lui fasse des remontrances : les réfugiés syriens. Ils sont quatre millions en Turquie, dont 500 000 à Istanbul, ils sont un million au Liban, 650 000 en Jordanie. Un million pour toute l’Europe, mais c’était encore trop. On se souvient d’Angela Merkel, en 2015, qui avait accueilli beaucoup trop de réfugiés syriens d’un coup, selon ses voisins de l’Union européenne. Aussi, un accord avait été conclu dans la foulée entre l’Union européenne et la Turquie. La Turquie a reçu 6 milliards d’euros de fonds européens pour retenir les réfugiés syriens et contrôler les flux. Autrement dit, l’Europe paie la Turquie pour empêcher les réfugiés syriens de passer. D’abord bien acceptée, la situation des réfugiés syriens en Turquie s’est dégradée dans l’opinion turque. Aujourd’hui, Erdoğan menace d’ouvrir les frontières, il menace l’Europe d’une marée de réfugiés syriens. Et l’opinion turque donne raison à Monsieur Erdoğan.
Déjà le chaos de l’offensive turque a entraîné l’évasion de djihadistes détenus dans des camps par les forces kurdes dans le nord-est syrien. Au Rojava, les Forces Démocratiques Syriennes détiennent 9 000 djihadistes issus de 44 pays, dont plusieurs centaines de femmes et 1 000 enfants. Parmi eux, on compte 400 à 500 Français, dont femmes et enfants. Pour la France, les djihadistes français doivent être jugés sur place. D’ici là, si les évasions continuent, on peut s’attendre à un regain d’activités djihadistes.
Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. La Syrie est un terrain de jeu entre les grandes puissances qui font et défont des alliances au gré de leurs intérêts. Mais il y a un étonnant projet utopique au cœur de ce chaos syrien, celui du PYD (Parti de l’union démocratique), un projet d’écologie sociale, féministe, anticapitaliste, libertaire, inspiré des idées de Murray Bookchin et revisité par Abdullah Öcalan, le chef historique de le lutte armée kurde, emprisonné depuis vingt ans. Une alternative révolutionnaire qui se réalise malgré – ou à cause – de la lutte armée, entre utopie et compromis.
C’est cette formidable expérience qui est aujourd’hui mortellement menacée au moment où les Kurdes du Rojava sont pris en tenaille entre les forces turques et Daech, contraints de se retourner vers Bachar el-Assad.
Pour comprendre les enjeux de ce drame en cours sous nos yeux, nous vous proposons de retrouver trois de nos émissions sur le Rojava :
« Le Fond De L’Air Est Vert », alors que Corinne Morel Darleux revenait en juin 2018 d’un voyage dans le nord de la Syrie – impeccable pour comprendre ce qu’est le Rojava ;
le témoignage exceptionnel de deux « revenants » français qui étaient partis combattre Daech aux côtés des Kurdes ;
et notre émission autour du Monde diplomatique de décembre 2018, dans laquelle Mireille Court, membre de la coordination Solidarité Kurdistan, nous parlait de cette menace qui planait déjà sur le Rojava.
Daniel MERMET