CHAQUE SAMEDI, LES SEXPLORATEURS (10) | Podcast et belles images

Un ferronnier spécial, un Magritte érotique…

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300 000 vidéos vues chaque minute sur Pornhub, la France est en tête avec 92 milliards de vues en 2016 sur les sites porno. Ajoutez le marché des objets sur le net, c’est un énorme business qui se développe, sans précédent dans l’histoire.

Depuis toujours, le sexe est un marché mais jamais d’une telle ampleur. Une ampleur plus qu’ industrielle, une ampleur « virale ». On va se retrouver avec des libidos toutes pareilles, toutes formatées, toutes alignées par le Big Brother de l’orgasme. Finis les fantasmes hors pistes, les accessoires extravagants, et les petites mains de la haute luxure. Et alors, des gars comme Bruno n’auront plus de boulot. Bruno, un ferronnier un peu spécial qu’Anne Riou, notre « sexploratrice » en chef, avait rencontré quelque part en Eure-et-Loir, route de Mal-aux-Verges ! Un détail qui ne s’invente pas et , en tout cas – si l’on peut dire – une émission culte.

Programmation musicale :
- Machin : Mon slip, c’est ma boîte à outils
- Patachou : Le Bricoleur

reportage : Anne Riou
réalisation : Antoine Chao et Khỏi Nguyen

René Magritte, Les jours gigantesques, huile sur toile, 72,4 x 54 cm, 1928


Cette semaine, notre illustre illustrateur est l’un des peintres les plus populaires au monde, mais on ignorait son art érotique.

Dieu nous a faits en sorte qu’il nous soit impossible de rire et de parler en même temps. Le rire s’oppose au discours, c’est là toute sa grâce et c’est toute notre chance. Avec l’étrange bruit du rire, quelque chose se dit qui ne se dit pas quand on dit.

C’est ce que déclenche par exemple la peinture de René Magritte. Non pas l’éclat de rire, mais pire, le rire par implosion. Ici, si on se fend la gueule, c’est une fente profonde qui ébranle le piédestal et tout l’édifice, une brèche que la normalité a bien du mal à colmater. Il en a fallu des commentaires, des articles, des expositions et tout ce qu’on appelle la culture pour affadir, pour aplatir, pour désamorcer les explosifs inlassablement fabriqués par ce faux employé modèle qui travaillait du chapeau. Déguisé en petit bourgeois respectable, passant inaperçu pour mieux atteindre le cœur des rouages avec ses grains de sable, Magritte n’était pas seul. C’était tout un courant d’énergumènes improbables, des inventeurs de monde, attachés à subvertir définitivement l’ordre des choses et qui sont aujourd’hui en solde sous l’étiquette touristique « surréalisme belge ». Le rescapé Magritte correspondait avec Michel Foucault et entendait représenter le « mystère du monde » et des « pensées qui deviennent visibles ». On en a fait des livres d’étrennes, des posters pour salle d’attente et surtout beaucoup de gras pour les spéculateurs.

S’il existe encore, l’étrange bruit du rire ne sort plus des gorges, sauf là, pour une fois, et même pour six fois. Six dessins érotiques de Magritte, découverts récemment et destinés à illustrer le roman érotique de Georges Bataille, Madame Edwarda, datant de 1941.

Ce récit dédié à Paul Éluard est l’un des premiers ouvrages clandestins parus sous l’Occupation. C’est une interprétation très personnelle de la théologie chrétienne, Madame Edwarda est présentée comme un « dieu divin » auquel on ne peut accéder qu’en transgressant des interdits. Ce récit a été illustré par Magritte en 1946, pour une édition pirate du récit : une série de six dessins commandés par le libraire éditeur Albert Van Loock, appartenant aujourd’hui à des collectionneurs privés.

L’action met en scène une prostituée, folle et obscène, qui déclare être Dieu tandis qu’elle exhibe son sexe. Plus Madame Edwarda sera obscène, plus elle sera divine, un « dépassement de Dieu dans tous les sens ; dans le sens de l’être vulgaire, dans celui de l’horreur et de l’impureté ; à la fin dans le sens de rien… [1] ».

En 2012, le musée Magritte de Bruxelles dévoilait pour la première fois ces six dessins au public. Une signalétique avait été placée à l’entrée de l’exposition, précisant que certaines œuvres pouvaient choquer le visiteur, sans préciser lesquelles. Un superbe hommage involontaire au peintre de « ceci n’est pas une pipe ».

Daniel Mermet


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Notes

[1Georges Bataille, Madame Edwarda. Divinus Deus, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1956.

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On ne remerciera jamais assez le cancer et Jésus.

Oui, tout d’abord, merci au cancer. Car s’il n’avait pas eu un cancer en 1985, à 34 ans, Gerhard Haderer aurait eu la vie indigente d’un « créateur » publicitaire. Or, c’est lorsqu’il fut opéré (et guéri) qu’il a tout laissé tomber et s’est tourné à fond vers le genre de dessins que vous allez (re)découvrir, si puissants, si violents qu’ils se passent de tout commentaire, à part quelques gloussements, quelques éclats de rire et pas mal de silences dans le genre grinçant.

Ensuite, merci à Jésus. Et surtout à Monseigneur Christoph Schönborn, cardinal, archevêque de Vienne. En 2002, Gerhard Haderer publiait La Vie de Jésus, un surfeur drogué à l’encens, ce qui faisait un peu scandale dans la très catholique Autriche, si bien que le cardinal archevêque, hors de lui, crut bon de donner l’ordre à l’auteur de présenter ses excuses aux chrétiens pour avoir ridiculisé le fils de Dieu. Au passage, on le voit, l’Islam n’a pas le monopole du refus des caricatures, mais celles-ci eurent beaucoup moins d’écho chez nos défenseurs de la liberté d’expression. Et bien entendu, comme toujours, la censure assura le succès de l’album, qui atteignit 100 000 exemplaires en quelques jours.

Le capitalisme est comparable à une autruche qui avale tout, absolument tout. Mais là, quand même, il y pas mal de dessins de Gerhard Haderer qui lui restent, c’est sûr, en travers de la gorge. On peut rêver et c’est déjà beaucoup.