Alors qu’elle était interrogée sur la réforme du travail qui s’annonce par ordonnances et notamment sur le plafonnement des dommages-intérêts envisagés en cas de licenciement abusif, l’ancienne DRH du groupe Danone et nouvelle ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a affirmé sur France Inter que « tous les pays européens » plafonnaient de tels dommages-intérêts et que la France était, dans ce domaine, « le seul pays à ne pas donner de points de repère » :
« Alors, oui, pour peut-être clarifier pour les auditeurs, en cas de licenciement, il y a trois indemnités. Enfin, il y en a deux, plus exactement : l’indemnité légale, fixée par la loi, l’indemnité conventionnelle fixée par la branche ou l’accord d’entreprise.
Et puis, si le juge reconnaît que le licenciement est abusif, n’aurait pas dû avoir lieu, il y a des dommages et intérêts. C’est cette partie-là dont on discute, sur les barèmes. Tous les pays européens ont une barèmisation, c’est-à-dire qu’il y a un plancher et un plafond, en gros, qui est lié à l’ancienneté et un certain nombre de critères de ce type-là. (…) Comme on est le seul pays à pas donner de points de repère, c’est tétanisant pour les PME. »
Alors, la France est-elle le seul pays européen à ne pas plafonner les indemnités prudhommales en cas de licenciement abusif, sans cause réelle et sérieuse ?
Et bien non, c’est faux. La France n’est pas seule en ce domaine. En tout cas, si l’on se réfère à la consultation des législations en vigueur sur le site de l’Organisation Internationale du Travail (l’OIT).
La consultation de ces législations nous apprend en effet que si, dans pas mal de pays, des dispositions limitent effectivement la compensation d’un licenciement injustifié, dans d’autres, comme en France, ce n’est pas le cas : comme en Autriche, par exemple, où le montant des indemnisations est librement déterminé par les tribunaux et les cours. Comme au Luxembourg ou aux Pays-Bas ou encore (hors Union Européenne) en Norvège.
Dans la même interview, Muriel Pénicaud s’essaye à une autre comparaison internationale. Cette fois, sur un sujet, plus technique, celui du regroupement, souhaité par le gouvernement, de ce que l’on appelle les instances représentatives du personnel qui sont jugées, toujours par le gouvernement (et par le patronat…) trop nombreuses en France :
« Vous savez qu’on est le seul pays européen – paraît-il du monde – qui a quatre instances (le comité d’entreprise, le comité d’hygiène et de sécurité, les délégués du personnel et les délégués syndicaux) pour représenter les salariés vis-à-vis de l’employeur. »
Seulement, voilà, ce que ne dit pas Muriel Pénicaud à son auditoire, celui de France Inter, peut-être pas au fait de la législation en matière de représentation des salariés, c’est que :
– d’une part, en France, sans faire de comparaisons internationales, toutes les entreprises ne sont pas dotées de ces quatre instances – dont la ministre semble vouloir dire qu’elles nous placent de manière irraisonnable en dehors de ce qui serait une norme internationale. Ces instances représentatives du personnel ne sont créées qu’à partir de seuils d’effectifs précis : les entreprises de moins de 11 salariés par exemple, qui concentrent la moitié des emplois en France, n’en bénéficient pas : elles n’ont ni délégués du personnel, ni comités d’entreprise. Pour le coup, la comparaison internationale tombe un peu à côté de la plaque.
– et puis d’autre part, si l’on regarde cette fois ce qu’il se passe à l’étranger, ce que l’on peut faire en consultant le site, plutôt bien fait, de l’Institut Syndical Européen, un centre de recherches qui a recensé les systèmes de représentation des salariés pour les comparer d’un pays à un autre, on peut facilement observer qu’il n’est pas rare que nos voisins, eux, disposent, de trois instances – pas quatre mais trois : des représentants syndicaux, des comités d’entreprise, des comités d’hygiène et de sécurité, soit à une instance près, donc, ce qui existe en France, dans les entreprises de plus de 50 salariés. Faut-il alors s’émouvoir de cette différence ?
En fait, ce qui saute aux yeux à travers ces deux exemples empruntés à la nouvelle ministre du Travail interrogée par France Inter, c’est cette pratique devenue habituelle des comparaisons avec les autres pays qui est loin d’être toujours adaptée, quand elle ne relève pas simplement de l’erreur (on l’a vu sur le plafonnement des indemnités), voire, parfois, du mensonge.
Comme si, implicitement aussi, faire comme les autres était nécessairement un gage de pertinence… Ou comme si se distinguer des autres était nécessairement à blâmer.
En matière de communication politique, utiliser des comparaisons internationales, c’est souvent le meilleur moyen trouvé pour accuser son chien qu’il a la rage… et le tuer !