Quel est le point commun entre l’auteur de L’Internationale, l’artiste Marcel Mouloudji et la chanteuse Agnès Bihl ? Réponse : un homme nommé Jean Misère.
Jean était un ancien communard, qui échappa à la répression menée par les Versaillais et finit sa vie dans la solitude et le dénuement le plus total, d’où son surnom, Jean « Misère ». Un surnom trouvé par le poète Eugène Pottier, car en fait Jean Misère n’a pas réellement existé. Jean Misère est le protagoniste d’un poème. Un poème écrit neuf ans après la Semaine sanglante. Un poème mis en musique par Victor Joannès Delorme, interprété récemment par Agnès Bihl, et qui connut un regain de popularité en 1971, quand il fut repris pour le centenaire de la Commune par Marcel Mouloudji sur l’album La Commune en chantant. Aujourd’hui, Olivier Besancenot vous raconte comment la poésie d’Eugène Pottier fait vivre le souvenir de la Commune de Paris depuis plus de 150 ans.
Eugène Pottier, Jean Misère, 1880
Décharné, de haillons vêtu
Fou de fièvre, au coin d’un impasse,
Jean Misère s’est abattu.
« Douleur, dit-il, n’es-tu pas lasse ? »
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…
Pas un astre et pas un ami !
La place est déserte et perdue.
S’il faisait sec, j’aurais dormi,
Il pleut de la neige fondue.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…
Est-ce la fin, mon vieux pavé ?
Tu vois : ni gîte, ni pitance,
Ah ! la poche au fiel a crevé ;
Je voudrais vomir l’existence.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…
Je fus bon ouvrier tailleur.
Vieux, que suis-je ? une loque immonde.
C’est l’histoire du travailleur,
Depuis que notre monde est monde.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…
Maigre salaire et nul repos,
Il faut qu’on s’y fasse ou qu’on crève,
Bonnets carrés et chassepots
Ne se mettent jamais en grève.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…
Malheur ! ils nous font la leçon,
Ils prêchent l’ordre et la famille ;
Leur guerre a tué mon garçon,
Leur luxe a débauché ma fille !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…
De ces détrousseurs inhumains,
L’Église bénit les sacoches ;
Et leur bon Dieu nous tient les mains
Pendant qu’on fouille dans nos poches.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…
Un jour, le Ciel s’est éclairé,
Le soleil a lui dans mon bouge ;
J’ai pris l’arme d’un fédéré
Et j’ai suivi le drapeau rouge.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…
Mais, par mille on nous coucha bas ;
C’était sinistre au clair de lune ;
Quand on m’a retiré du tas,
J’ai crié : Vive la Commune !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…
Adieu, martyrs de Satory,
Adieu, nos châteaux en Espagne !
Ah ! mourons !… ce monde est pourri ;
On en sort comme on sort d’un bagne.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…
À la morgue on coucha son corps,
Et tous les jours, dalles de pierre,
Vous étalez de nouveaux morts :
Les Otages de la misère !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…