Chers amis,
Chers AMG,
Retour de Chine je vous rapporte l’histoire du petit singe qui chaque matin et chaque soir léchait les pieds de l’Empereur. Il faisait ça si bien, avec tant de zèle (en poussant même des petits soupirs de plaisirs), que certains esprits s’en étonnaient.
Un jeune bonze un jour lui demanda : « Est-ce que tu subis des pressions ? ».
Le petit singe lécheur éclata de rire : « Des pressions ? pas le moins du monde, je suis libre, je lèche comme je veux, jamais l’Empereur ne me demande quoi que ce soit, libre je suis ! »
Le jeune bonze s’en alla voir un vieux bonze qui chaque jour assistait au lever et au coucher de l’Empereur.
« Est-ce que le singe lécheur subit des pressions, demanda-t-il ? »
– Pas le moins du monde, dit le vieux bonze, c’est inutile, il a été dressé comme ça, il a été choisi car son dressage est le mieux réussi. »
Le jeune bonze s’en retourna voir le petit singe lécheur.
« Quels sont les bons principes pour lécher les pieds d’un Empereur ?
– Un seul principe, dit gravement le petit singe lécheur, l’équilibre ! Il faut autant lécher le pied gauche que lécher le pied droit, sans préférence, sans jamais prendre parti. Ce n’est pas toujours facile. Certains jours, le pied gauche proteste car j’ai trop léché le pied droit, le lendemain c’est le contraire. Il faut chaque fois rétablir l’équilibre ».
Le petit singe lècheur parlait gravement, comme quelqu’un qui doit assumer de graves responsabilités morales et déontologiques.
Le jeune bonze alla poser la question au vieux bonze qui assistait au lever et au coucher de l’Empereur.
« Gauche ou Droite , l’Empereur s’en moque, dit-il, dès l’instant qu’il peut marcher et écraser la gueule des autres ».
Le jeune bonze s’en retourna voir le petit singe lécheur.
« Est-ce que c’est bon de lécher les pieds d’un Empereur ?
– Rien n’est plus savoureux, dit le petit singe lécheur , c’est un délice à quoi rien ne saurait être comparé »
Le jeune bonze alla revoir le vieux bonze qui assistait au lever et au coucher de l’Empereur.
« En vérité, dit le vieux bonze, l’Empereur n’enlève pas ses sandales, le petit singe lécheur lèche les semelles. Il lèche la poussière, les taches, les déjections. »
Un jour, malencontreusement, l’Empereur en se levant écrasa le petit singe lécheur, qui en mourut. Aussitôt, un autre singe lécheur arriva, qui lécha la semelle de l’Empereur encore chaude du sang du brave petit singe précédent.
Mais comme disait Sally Mara, « Tiens bon la rampe ! »
Daniel Mermet, le 4 mars 2007