Judith Godrèche et Djamila Super U : même combat

Le

« Si la vérité intéressait les gens, ils éteindraient la télé et ils regarderaient par la fenêtre. »

Ainsi parlait Jean Yanne. Et c’est pas faux.

Sur les écrans, des millions ont regardé Judith Godrèche et son courageux témoignage à la soirée des César vendredi soir. Actrice abusée dans son adolescence par un réalisateur prestigieux beaucoup plus âgé dont elle fut l’objet sexuel, elle et quelques autres femmes dénoncent les excès de pouvoir d’hommes puissants dans le cinéma sur de très jeunes filles. Des faits connus, acceptés, admirés ou passés sous silence et qui explosent aujourd’hui. Du coup, chaque jour, des comédiennes ou des écrivaines révèlent les viols et les violences que leur ont fait subir de grands noms masculins. Le déballage fait du buzz. La réprobation est grande et chacun, dans la société du spectacle, la main sur le cœur, tient à faire part de sa plus vive indignation et de sa plus vive détermination à lutter contre cette barbarie.

Mais si on regarde par la fenêtre de Jean Yanne, on voit que ces indignés ont un immense chantier devant eux. Loin de la cérémonie des César, au Super U du coin de ma rue, Djamila la caissière a claqué la porte. Elle ne voulait plus se faire peloter par le directeur qui la coinçait dans la réserve en se déboutonnant et en disant « sois gentille, t’auras des primes ». Ça a duré des semaines. Il faisait ça à toutes, paraît-il. Elle en dormait plus. Porter plainte ? Les flics, c’est pas le truc de Djamila. Un syndicat ? Elle connaît pas. Les copines de boulot ? Les unes ont dit bravo mais elles la ferment pour garder leur job, elles ont des gosses. D’autres l’ont traité d’allumeuse avec ses T-shirts moulants. Il y a même eu une blague : « une caissière, ça encaisse ».

Djamila a osé raconter, mais c’est rare. 30 % n’en parlent pas et 5 % vont en justice. Combien de Djamila dans le monde du travail ? Chez les prolos comme chez les cadres, le harcèlement sexuel au travail est un éléphant au milieu du salon. Combien de secrets mal enfouis ? Combien d’éclopées qui s’ignorent ou non ? On ne parle pas du dragueur plus ou moins lourdingue, on ne parle pas non plus des moments consentis, des petits coups à la sauvette ou pas, ça regarde chacune et chacun, les femmes sont des grandes filles. Et attention au retour du puritanisme, toujours prêt à vous mettre du bromure dans la libido. Non, on parle du chef, du petit chef comme du grand chef qui prend le pouvoir sur un corps vulnérable et en jouit à sa guise. Le réalisateur mégalo comme le prédateur de bureau. Le négrier comme le gourou. Corps et âme. Ces dominations sont tellement intériorisées qu’à droite on se demande de quoi elles se plaignent ces bonnes femmes, après tout il n’y a pas mort d’homme.

C’est pourtant le même combat.

Certes chez les people, il faut d’abord balayer les Jacquot, les Doillon et les PPDA devant sa porte.

Mais Judith Godrèche et Djamila Super U, c’est le même combat.

Daniel Mermet

C'est vous qui le dites…Vos messages choisis par l'équipe

Les bouquins de LÀ-BASLire délivre

  • Voir

    La bibliothèque de LÀ-BAS. Des perles, des classiques, des découvertes, des outils, des bombes, des raretés, des bouquins soigneusement choisis par l’équipe. Lire délivre...

    Vos avis et conseils sont bienvenus !

Dernières publis

Une sélection :

La sociologue publie « Les riches contre la planète. Violence oligarchique et chaos climatique ». Entretien Monique Pinçon-Charlot : « Dans tous les domaines de l’activité économique et sociale, les capitalistes ont toujours, toujours, toujours des longueurs d’avance sur nous » AbonnésVoir

Le

La sociologue Monique Pinçon-Charlot, qui a longtemps analysé avec son mari Michel Pinçon les mécanismes de la domination oligarchique, publie un nouveau livre sur le chaos climatique et elle n’y va pas avec le dos de la cuiller en bambou. Entretien.

Les riches détruisent la planète, comme l’écrivait le journaliste Hervé Kempf. On le sait. Ils le savent. Ils le savent même depuis bien longtemps ! Le nouveau livre de Monique Pinçon-Charlot risque de ne pas plaire à tout le monde. Dans Les riches contre la planète, elle raconte comment une poignée de milliardaires est en train d’accumuler des profits pharaoniques en détruisant la nature, les animaux, les êtres humains et finalement toute la planète, menacée par les émissions de gaz à effet de serre.

Mais surtout, la sociologue analyse comment l’oligarchie, qui a toujours eu une longueur d’avance, organise, encadre et finance sa propre critique et ses contestataires. Histoire que l’écologie ne soit pas un frein au business, mais au contraire l’opportunité de développer de nouveaux marchés selon une « stratégie du choc » décrite par la canadienne Naomi Klein. Le capitalisme fossile est mort ? Vive le capitalisme vert !

Alors que faire ? Arrêter de parler d’« anthropocène », ce n’est pas l’humanité tout entière qui est responsable du dérèglement climatique, mais de « capitalocène », la prédation du vivant étant consciemment exercée par quelques capitalistes des pays les plus riches. Ensuite comprendre ce que masquent les expressions « transition écologique  », « neutralité carbone » ou encore « développement durable » forgées par le capitalisme vert. Et surtout lire d’urgence le livre de Monique Pinçon-Charlot pour prendre conscience que les mécanismes de la domination oligarchique s’immiscent partout, y compris là où on ne les attendait pas…

Alain Ruscio publie « La première guerre d’Algérie. Une histoire de conquête et de résistance, 1830-1852 » aux éditions La Découverte La première guerre d’Algérie (1830-1852) AbonnésVoir

Le

« Par milliers, les Algériennes et les Algériens furent humiliés, spoliés, déplacés, enfumés, massacrés, décapités... » Il faut connaître cette époque pour comprendre la suite de la colonisation et son dénouement tragique. Dénouement que certains n’acceptent pas et qui le ravivent comme une amputation. Pourtant recherches, témoignages et reportages au cours des dernières années semblaient avoir apporté les moyens d’un apaisement des mémoires. Mais une extrême droite revancharde et négationiste, dotée de forts moyens médiatiques, gagne du terrain. Face à la concurrence des rentes mémorielles, il est donc nécessaire de mieux connaître cette sombre sanglante histoire. Aussi ROSA MOUSSAOUI interroge ALAIN RUSCIO, un des meilleurs historiens du fait colonial qui publie une somme passionnante à La Découverte.

Frédéric LORDON publie« Figures du communisme » aux éditions La Fabrique. Un entretien en deux parties Frédéric Lordon, le capitalisme nous détruit, détruisons le capitalisme (2/2) AbonnésVoir

Le

Depuis longtemps on se répète : « on sait pas ce qu’on veut, mais on sait ce qu’on veut pas ». Si Lordon reprend la formule, c’est tout d’abord pour dire que ce qu’on ne veut pas, c’est le capitalisme. Nous n’avons plus le choix, c’est lui ou nous, il n’y a plus d’arrangement possible. Comme dit un AMG, « repeindre le capitalisme en noir ne suffit plus ». Oui, c’est vrai, déplorer, dénoncer, condamner, s’indigner à longueur d’année nous conduit à l’impuissance et à la résignation, c’est-à-dire là où nous sommes aujourd’hui.