Grosse colère à France Inter. Les rédactions réunies condamnent la convocation de Guillaume Meurice par la direction de Radio France pour « un entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire ».
Grosse colère aussi en soutien à plusieurs journalistes des programmes qui se font virer sans ménagement. Ambiance revancharde et chasse aux sorcières. La directrice de France Inter a décidé de se débarrasser des anciens de Là-bas. Virée Charlotte Perry et son émission du samedi soir, viré Antoine Chao et « C’est bientôt demain », son reportage hebdo, virées les chroniques d’Anaëlle Verzaux « Le jour où » (il lui reste une pige le samedi), virés les grands voyages mensuels de Giv Anquetil, il aura, peut-être, une chronique…
Oui, ça n’a pas échappé aux auditeurs. Ces quatre journalistes sont tous issus de Là-bas ! Un pur hasard ? Peut-être, mais pour beaucoup, pas de doute, ça pue la revanche. À la consœur du Monde, la direction de France Inter admet « une concomitance et un effet de sens ». Sans autre preuve que leur intuition, certains voient même là la vengeance d’un conseiller et ami de la nouvelle directrice de France Inter, un certain Philippe Val ! Ancien directeur de France Inter devenu chroniqueur hebdomadaire sur Europe 1, la « RFFB » (la Radio Franchement Facho de Bolloré).
Incompétence et gâchis stupide mais qui ne s’arrête pas là. La Terre au Carré, l’excellente émission écolo de Mathieu Vidard (avec Camille Crosnier, elle aussi sur la touche) dont le ton est jugé « trop éco-anxiété », va être « remodelée ».
C’est une vieille coutume à France Inter, à chaque printemps la direction coupe quelques têtes. Une méthode éprouvée qui assure la docilité générale pour l’année suivante. Mais cette fois, ça ne plait pas trop au petit personnel. Et même pas du tout. L’orientation politique est transparente. Certain sentent comme une petite odeur de chasse aux sorcières. Beaucoup voient là « une atteinte grave au pluralisme de France Inter ».
Du coup, chose exceptionnelle, la SDP et la SDJ se sont réunies en urgence pour publier un communiqué (1).
Ça ne vous dit rien ces sigles de trois lettres, pourtant ça résume tout le fonctionnement de France Inter. D’un côté la rédaction, d’un autre côté les programmes. Des statuts professionnels très différents. La rédaction, c’est des journalistes avec des emplois stables en CDI. De l’autre côté, c’est les programmes, des emplois à la pige ou en CDD avec des statuts précaires d’intermittents du spectacle qualifiés trompeusement de « producteurs ».
Pourquoi ces deux catégories ? Parce qu’il faut diviser pour régner, tout bonnement.
Sauf que là, phénomène très rare, la SDJ (Société de Journalistes) a réussi à faire alliance avec la SDP (Société des Producteurs et Productrices) avec en tête de tous les griefs : pluralisme et liberté d’expression.
Mais d’abord colère et incompréhension suite à la convocation adressée par la direction de radio France à Guillaume Meurice en vue de son licenciement. Convocation envoyée le 3 Mai, journée mondiale de la liberté de la presse. Le « soi-disant humoriste » selon CNews, avait répété sa phrase qui restera gravée à jamais dans l’histoire et où il est question de prépuce . « C’est ma première blague autorisée par la loi française ». Pas faux en effet puisque les plaintes déposées contre l’humoriste ont été classées sans suite par la justice.
Diffuser chaque jour des flots d’informations qui influencent des millions d’auditeurs dans un chouette climat de liberté suppose de savoir maintenir des limites, afin que l’ordre dominant du moment ne soit pas contesté. On dit bien « du moment » car cet ordre peut varier au fil du temps et des couleurs du pouvoir. La majorité des acteurs intériorisent docilement ces limites mais certains récalcitrants sortent parfois des rangs sans que l’encadrement ne parvienne à les faire rentrer à l’étable.
Le problème devient très délicat lorsque ces rigolos insoumis rencontrent le succès auprès des auditeurs avec une forte audience et des millions de podcasts. C’est tout le malheur de l’émission de Charline Vanhoenacker et de toute sa bande, combattue avec acharnement par toute l’extrême droite. Mais pas seulement. L’émission quotidienne a été supprimée par la nouvelle direction en juin 2023 malgré (ou à cause ?) de son succès. Mais sous la pression du public l’émission a été finalement programmée le dimanche en public. Nouveau problème, l’émission a gagné 550 000 auditeurs supplémentaires en moins d’une saison.
Guillaume Meurice licencié ?
Aucun risque, bien au contraire. Adèle Van Reeth, la directrice de France Inter est formelle. « Avoir des humoristes qui sont irrévérencieux, qui n’ont aucune notion de respect, de sacré, ça fait un bien fou, ça ouvre les fenêtres, ça permet de proposer ensuite d’autres types de programme et ça nous engage au fond, ça nous oblige ». (9 février 2023. Sur la télé genevoise Léman Bleu).
Sinon, en ces temps de guerre et de propagande, une petite pensée pour la route : « Ce qu’il dit est tellement faux que même le contraire n’est pas vrai ».
(1) Communiqué de la SDPI et de la SDJ de France Inter du 3 mai 2024
À Adèle Van Reeth, Directrice de France Inter
Paris, le 3 mai 2024,
Nous avons appris, jeudi 2 mai, la convocation de Guillaume Meurice par la direction de Radio France à un « entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à la rupture anticipée de (son) contrat de travail ». Il lui a également été signifié de « cesser toute activité professionnelle à Radio France » et de « ne pas se présenter à son poste de travail avant ledit entretien ». La SDPI et la SDJ de France Inter voient dans cette décision un signe très inquiétant pour la liberté d’expression, valeur que défend Radio France. Nous demandons le maintien à l’antenne de Guillaume Meurice, sans délai.
Cette convocation inacceptable semble être le symptôme d’un virage éditorial plus large.
L’émission « Le Grand dimanche Soir » portée par Charline Vanhoenacker et qui fait salle comble chaque dimanche, explose les audiences, mais pourrait être amputée d’un tiers de son budget à la rentrée de septembre. Une décision annoncée par la direction de France Inter, qui compte ainsi supprimer les sketches collectifs de l’émission, autant dire son essence-même.
Comment la direction de France Inter, justifie-t-elle cette coupe drastique ? Nous étions nombreux, il y a un an, à dénoncer la disparition de la quotidienne « Par Jupiter », animée par la même équipe, et à nous interroger sur les motivations de la direction. Alors que ses audiences étaient excellentes, aucun autre projet n’était avancé au même moment pour la remplacer. L’objectif n’était-il pas, déjà, de se séparer d’une bande d’humoristes devenus trop gênants politiquement ?
Ce qui ressemble à un virage éditorial nous inquiète d’autant plus qu’il ne concerne pas seulement « Le Grand dimanche Soir ».
Nous avons été effarés d’apprendre que « La Terre au Carré » s’arrêtait à la rentrée prochaine pour laisser place à une émission de sciences et d’écologie plus « narrative » toujours présentée par Mathieu Vidard mais sans Camille Crosnier. Un projet incluant une chronique de Camille Crosnier dans cette future émission a été proposé à la direction mais il a été refusé tout comme la présence du répondeur avec les messages des auditeurs.
Comment justifier une telle décision à un moment où les préoccupations environnementales n’ont jamais été aussi importantes ? Radio France a pourtant fait de son « Tournant environnemental » un engagement clef.
Enfin, tous les reportages des programmes vont disparaître de la grille de rentrée : « Le reportage Grand Format » de Giv Anquetil et « Le Jour où » d’Annaëlle Verzaux, tous deux diffusés dans « La Terre au Carré » ; « Des vies françaises », de Charlotte Perry ; et « C’est bientôt demain », d’Antoine Chao. Autant de rendez-vous qui donnent, sur le terrain, la parole à des personnes qu’on n’entend plus ailleurs ; et qui ont en commun une école d’écriture radiophonique riche de sons.
Tous ces rendez-vous constituent pour nous l’identité de France Inter. Ils portent les valeurs du service public, de liberté d’expression, de pluralisme auxquelles nous sommes toutes et tous très attaché.es, et répondent à la mission d’une radio d’offre, qualitative et exigeante.
Cette mission de représenter le pluralisme de la société, la direction de Radio France assure la défendre. Au moment où nos audiences n’ont jamais été aussi fortes – avec pour exemple 542 000 auditeurs supplémentaires en un an pour « Le Grand dimanche Soir » –, les équipes dénoncent des décisions dangereuses pour les valeurs de notre radio.
Nous refusons ce qui nous apparaît une atteinte grave au pluralisme de l’antenne de France Inter.
La Société des Producteurices de France Inter (SDPI), et la Société des Journalistes (SDJ) de France Inter