Polémique

Non-renouvellement de la concession de la chaîne RCTV au Venezuela : Noam Chomsky et Bernard Cassen

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Nous avons demandé à Noam Chomsky s’il avait pris position à ce sujet. Voici sa réponse, dans son intégralité, suivie par une traduction en français.

« I haven’t written on it. I can most easily respond with a thought experiment. Suppose that a military coup overthrew the government of the US, disbanded Congress and the Supreme Court, and every other democratic institution. Suppose that it was supported by CBS. Suppose further that the elected government was restored by a popular uprising. What would happen to the owners and directors of CBS ? Chances are they would be lined up before a firing squad without a trial. That would be understandable, but I would oppose it. Suppose the license the government grants them to broadcast were not renewed. I’d be amazed at the leniency of the reaction, but would still oppose it. »

« Je n’ai rien écrit à ce sujet. Le plus simple pour répondre est d’imaginer une autre situation. Imaginons qu’un coup d’état militaire renverse le gouvernement des Etats-Unis, dissolve le Congrès et la Cour suprême ainsi que toutes les institutions démocratiques du pays. Imaginons que ce coup d’état ait reçu le soutien de CBS. Imaginons encore que le gouvernement élu ait été ramené au pouvoir à travers une mobilisation populaire. Qu’arriverait-il aux propriétaires et directeurs de CBS ? Il y a de grandes chances qu’ils se retrouvent face à un peloton d’exécution sans jugement. Ce serait compréhensible, mais je m’y opposerais. Imaginons que la concession que leur accorde le gouvernement ne soit pas renouvelée. Je serais fort surpris par la clémence d’une telle réaction, mais je m’y opposerais de la même façon. »

- Voici, pour un autre éclairage, un texte de Bernard Cassen, paru sur le site du Monde diplomatique.

Désinformation sur le Venezuela

L’affaire ne pouvait être que de portée planétaire puisqu’elle a donné lieu, ces derniers jours, à des déclarations quasiment simultanées du Sénat des Etats-Unis, du Parlement européen et de la présidence allemande de l’Union européenne, sans parler des articles fleuves et des éditoriaux de la plupart des grands médias occidentaux. De quoi s’agit-il ? De l’Iran, du réchauffement climatique, de la Palestine, du Darfour ? Tout faux : la gravissime affaire en question est le non renouvellement, par le gouvernement vénézuélien, de la concession de 20 ans, venue à échéance le 27 mai, d’une chaîne de télévision privée, Radio Caracas Television (RCTV), afin d’installer sur sa fréquence hertzienne une chaîne de service public. C’est-à-dire exercer le droit souverain qu’a chaque Etat de disposer des biens publics rares que sont les fréquences hertziennes.

Atteinte aux droits de l’homme, à la liberté d’expression, censure, dérive autoritaire, totalitaire - voire fasciste -, toute la panoplie du vocabulaire rodé depuis des années contre le gouvernement de M. Hugo Chavez a été utilisée à nouveau massivement en cette circonstance.

Du côté politique, on retiendra d’abord la résolution votée à l’unanimité, le 24 mai, par le Sénat américain, en particulier par les aspirants démocrates à la succession de M. George Bush, contre la « fermeture » de RCTV. Votée précisément par les mêmes qui, reniant leurs promesses électorales, venaient, également à l’unanimité, de donner leur accord aux 100 milliards de dollars de crédits militaires demandés par la Maison Blanche pour la poursuite de l’occupation de l’Irak. Un bel exemple de rigueur démocratique.

Par la voix des services de Mme Angela Merkel, présidente en exercice du Conseil européen, l’Union européenne est également allée très loin dans l’hypocrisie. Dans une déclaration du 28 mai, elle « a noté avec inquiétude la décision du gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela de laisser expirer la licence d’émission de Radio Caracas Télévision (RCTV) le 27 mai, sans appel d’offres ouvert pour la licence qui lui succède ». On ne sache pas, entre maints autres « oublis », que l’Union ait fait semblable déclaration et ait exigé un nouvel appel d’offres lorsque la licence d’émission de TF1, accordée en 1987 pour 15 ans, a été reconduite par le gouvernement français en 2002 dans la plus totale opacité. Pourtant, la « télé-poubelle » de MM. Bouygues, Le Lay et Mougeotte avait tourné en dérision les engagements qu’elle avait pris dans son cahier des charges en invoquant son « mieux-disant culturel  ». Tout indique qu’elle continuera impunément à le faire avec son nouveau patron, M. Nonce Paolini, flanqué de M. Laurent Solly, transféré du jour au lendemain du « staff » de M. Nicolas Sarkozy à sa filiale médiatique.

Pour ce qui est de l’abondante production des médias français, avant et après la date du non renouvellement de la concession de RCTV, la palme de la désinformation revient sans conteste, entre maints autres articles de la même veine, à l’éditorial d’un quotidien de référence, daté du 27-28 mai et intitulé « Censure à la Chávez ». Il vaut la peine d’en citer et d’en commenter quelques passages.

D’emblée le ton est donné : « Le président Hugo Chávez a ordonné la disparition de RCTV  ». Non, RCTV ne « disparaît » pas : elle peut continuer à émettre sur le câble, par Internet et sur le satellite, et va sans aucun doute le faire. Mais, comme la loi le prévoit, sa fréquence hertzienne et sa couverture nationale reviennent au service public à l’échéance de la concession dont elle bénficiait. Ou bien faudrait-il considérer que cette concession à durée limitée de RCTV était, en fait, à durée illimitée ? Et cela en fermant les yeux sur ses multiples entorses à son cahier des charges qui lui avaient notamment valu d’être fermée pour des durées de 24 heures à 3 jours non pas par les gouvernements de M. Chávez, mais, en 1976, 1980, 1981, 1989 et 1991, par leurs prédécesseurs sociaux-démocrates ou démocrates-chrétiens. Depuis sa première élection à la présidence de la République en 1998, M. Chávez n’a fermé aucune station de radio ou de télévision ni poursuivi aucun journaliste. Pourtant, dans n’importe quel autre pays démocratique, c’est ce qui se serait passé, compte tenu de la caution ouvertement apportée par la plupart des médias - dont RCTV - au coup d’Etat avorté du 11 avril 2002, quand ce n’était pas à son organisation.

L’éditorial poursuit en dénonçant une décision politique «  qui réduit le pluralisme et augmente la concentration de l’audiovisuel aux mains du gouvernement  ». De quelle concentration s’agit-il ? En 2006, on comptait au Venezuela 20 chaînes hertziennes VHF privées et une publique. On comptait par ailleurs 28 chaînes hertziennes UHF privées, 6 publiques et 44 communautaires. Actuellement, avec l’incorporation de RCTV, le service public disposera de deux chaînes hertziennes VHF, de deux chaînes UHF et de deux chaînes sur la câble. On est très loin du monopole...

Sans la moindre trace d’ humour, l’éditorial qualifie ensuite RCTV de « chaîne privée qui donnait la parole à l’opposition  ». RCTV donnait effectivement la parole à l’opposition, et ne faisait même que cela ! Des études de contenu effectuées sur le mois de janvier 2007 montrent que, dans ses programmes, elle a invité 21 personnalités hostiles au gouvernement, et aucune qui lui soit favorable. Le même mois, une des quatre autres grandes chaînes privées, Globovisión, a invité 59 opposants à M. Chávez et 7 de ses partisans. Seule Televen a respecté la parité : deux de chaque camp.

Certes on peut regretter que la seule chaîne publique hertzienne jusqu’ici contrôlée par le gouvernement, Venezolana de Television (anciennement Canal 8), ne soit pas non plus un modèle d’équilibre, mais comment pourrait-il en être autrement dans un paysage médiatique où la plupart des journaux, radios et chaînes de télévision se comportent en partis politiques d’opposition ? Il faut espérer que TVES, la chaîne qui reprendra le signal de RCTV, tiendra ses promesses de pluralisme, même dans ces circonstances adverses.

Du côté de la presse écrite, la situation est encore plus tranchée : sur 10 quotidiens de diffusion nationale, 9 sont des opposants déclarés au gouvernement. Si l’on étudie le contenu des articles d’opinion publiés dans quatre d’entre eux au mois de janvier 2007, on obtient les résultats suivants : pour El Nacional, 112 hostiles, 87 neutres et 6 favorables ; pour El Universal, les chiffres correspondants sont 214, 89 et 9 ; pour Ultimas Noticias, 31, 59 et 18 ; pour El Mundo, 49, 39 et 15. Ce qui ne les empêche pas de recevoir de la publicité des entreprises, des agences et des collectivités publiques.
Prétendre que la liberté d’expression est menacée au Venezuela relève donc de la plus insigne mauvaise foi. Il suffit de s’arrêter devant un kiosque à journaux ou de passer une heure devant un poste de télévision pour être convaincu du contraire. C’est même sans doute le seul pays du monde où, dans le passé, des appels publics à l’assassinat du président n’ont pas entraîné des poursuites judiciaires.

Mais alors, comme dirait M. Sarkozy, pourquoi tant de haine, pourquoi tant d’acharnement et de contre-vérités ? Que M. Chávez irrite au plus haut point les Etats-Unis et leurs alliés par sa politique de récupération des richesses naturelles nationales et par la dénonciation des politiques de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international peut parfaitement se comprendre. Que des médias appartenant à de grands groupes industriels et financiers répercutent les orientations et les intérêts de leurs commanditaires est dans l’ordre des choses. En revanche, on reste perplexe devant le comportement d’organes de presse où le pouvoir éditorial est officiellement déconnecté du pouvoir des actionnaires...

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