Le prochain repaire sera samedi 10 juin à partir de 14h15. L’adresse est cette fois-ci Wildenbruchstraße 4, 12045 Berlin à la librairie d’occasion Raum B.
Lors de ce Kaffee Repaire, je vous invite à revisiter quelques aspects de la trajectoire et de la pensée de Jean-François Lyotard, pour nous mettre à l’écoute de ce qu’elle a à nous dire, aujourd’hui, de l’intrication de la montée des nationalismes et de l’hégémonie néolibérale. L’élection présidentielle témoignerait aujourd’hui d’une recomposition politique : le clivage droite/gauche n’existerait plus, remplacé par par celui de l’ouverture et de la fermeture, de la globalisation heureuse et du repli nationaliste/xénophobe. Les analyses de Lyotard nous permettent d’envisager ces antagonismes non pas simplement comme deux visions du monde radicalement séparées, mais comme les deux faces d’une même médaille, engagées dans une relation de causalité.
Comme bien des philosophes français commençant leur carrière après la guerre (Deleuze, Derrida, Foucault,…), Jean-François Lyotard (1924-1998) remet sur le métier, après Marx et Freud, les questions du pouvoir, du désir et de la subjectivité. Son engagement ne fut pas seulement philosophique, puisqu’il fut membre, dans les années 50, du groupe « Socialisme ou Barbarie » (l’un des premiers groupes à dénoncer le stalinisme comme un capitalisme d’État, et qui défendait des positions conseillistes, influentes pour le mouvement du 22 Mars). Mais c’est surtout pour son élaboration critique de la notion de « postmoderne » que Lyotard est connu – et souvent détesté. La Condition postmoderne : rapport sur l’état du savoir (1979), dresse en effet le constat d’une évolution des sociétés qui rend obsolète les grands récits d’émancipation : le système technoscientifique du capitalisme ne vise plus le progrès, mais le développement, et il faut se défaire de l’illusion que les luttes pourront un jour faire advenir une humanité universellement libre.
Évidemment, ce constat n’avait pas de quoi réjouir les tenants du Grand Soir, sur le terrain des luttes et de la pensée. Lyotard fut accusé d’obscurantisme, de traitrise à la cause, de renoncement, de cynisme… Et pourtant, sa description du système capitaliste et de ses effets sur les modes de légitimation républicains, ses analyses sur les dangers d’une résurgence du mythe (ethnique ou religieux) dans le champ social et politique, frappent aujourd’hui par leur lucidité visionnaire.