Avant-propos de Jean-Gabriel Périot
« Mes films dressent un portrait sombre de l’humanité : les camps de concentration, Hiroshima, la prison… ou encore : la revanche, la vengeance, l’oppression, l’atteinte aux corps, la mort. Pourtant, il ne s’agit jamais dans mon travail de cinéaste d’écraser le spectateur dans le pessimisme ou de lui infliger une leçon de morale et le contraindre à un quelconque devoir de mémoire. Au contraire, il s’agit toujours pour moi de regarder l’humanité dans ce qu’elle a de plus faillible et de faire de cette souffrance un refus, mais aussi d’en tirer la force d’espérer et d’aimer une humanité si fragile.
Il y a quelques années, j’ai pris conscience que je n’interrogeais que les actes de violence résultant de systèmes de pensées auxquels je suis opposé. Il est évidemment plus facile de juger les actes de ses adversaires que ceux de son propre camp… J’ai alors eu besoin de me confronter à ma facilité à excuser, ou à trouver des raisons, à des actes perpétrés au nom de convictions proches des miennes ou d’idéologies que je peux comprendre : une violence conséquente à un désir de révolution.
De plus, je me suis rendu compte que je ne m’étais jusque-là intéressé qu’aux effets de la destruction, que j’étais toujours resté du côté des victimes. Il m’a alors été nécessaire de me questionner sur les perpétrateurs des actes de violence et d’interroger les origines, les motivations, les ressorts les ayants conduit à l’irréparable. Se pencher sur les coupables soulève des questions insolubles et insupportables. Pourtant, accepter ceux-ci comme des êtres humains à part entière ne réécrit pas l’Histoire et ne les exonère d’aucun crime, mais ouvre une réflexion plus profonde sur notre humanité et sa part la plus sombre.
J’ai commencé une recherche de longue haleine sur la violence révolutionnaire. Les années passant, mes recherches se sont resserrées sur les mouvements d’émancipation des années 60 et 70 jusqu’à se concentrer sur l’histoire de la Fraction Armée Rouge, un groupe terroriste d’extrême-gauche ouest-allemand, désigné en France sous son acronyme RAF (Rote Armee Fraktion), ou plus communément « la bande à Baader ».
Le terrorisme n’est qu’échec et destruction. Il sème avec aveuglement la mort et décrédibilise ainsi ses propres ambitions révolutionnaires. Pourquoi donc certains décident volontairement d’user de cette violence ?
Cette question est particulièrement poignante quand les terroristes ne sont pas des individus vivant en marge de la société, mais justement les enfants chéris de celle-ci, ceux promis au plus bel avenir. C’est singulièrement le cas pour la jeunesse allemande de l’après guerre qui avait entre les mains les clefs d’un pays en pleine reconstruction.
Si je me suis arrêté sur l’histoire de cette jeunesse allemande, c’est que celle-ci est pour moi une histoire d’échecs et d’effrois, une tragédie exemplaire et funeste mais aussi une histoire en images, une histoire des images. »