Siné et le Droit

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Faut-il donc se préparer à envoyer bientôt des oranges à Siné, que Philippe Val a eu le rare courage de mettre à la porte de son journal ?
Voici, en version intégrale, le point de vue de l’avocat Jean-Yves Halimi.

Dans cinquante ans, on demandera aux écoliers : « Que vous rappelle le 10 septembre 2008 ? », et la réponse fusera en chœur : « Le premier numéro de Siné Hebdo ! ».

Voilà comment nous avons présenté l’émission de mercredi 3 septembre avec Siné, Loup, Delfeil de Ton et toute la bande d’innocents qui s’embarquent dans l’aventure.

Vous avez été très nombreux à partager la jubilation de ces énergumènes. Mais très nombreux aussi à casser l’ambiance en rappelant que Siné fait l’objet de poursuites de la Licra et que la première audience est fixée le 9 septembre, la veille de la sortie du numéro 1, au tribunal correctionnel de Lyon.

De Libération (Laurent Joffrin) à Marianne (Maurice Szafran), du Figaro (Alexandre Adler) au Monde (Bernard-Henri Lévy), ce ne fut qu’un seul et même cri d’indignation de la nomenklatura pour condamner le dernier des avortons de la bête immonde.

Faut-il donc se préparer à envoyer bientôt des oranges à celui que Philippe Val a eu le rare courage de mettre à la porte de son journal ?
Voici, en version intégrale, le point de vue de l’avocat Jean-Yves Halimi.

SINE ET LE DROIT

Pour procéder au licenciement brutal de Siné, Philippe Val, patron de Charlie Hebdo, a soutenu que les propos tenus par le dessinateur l’auraient exposé, comme Directeur de publication, à des poursuites pour incitation et provocation à la haine raciale de la part de Jean Sarkozy, fils du Président de la République.

Le risque peut, en apparence, paraître réel, puisque ces mêmes propos sont aujourd’hui attaqués devant le Tribunal correctionnel de Lyon par la LICRA (pourquoi Lyon et non Paris, où l’hebdomadaire concentre un plus grand nombre de lecteurs et de victimes potentielles de la prétendue provocation ?).

Cette association avait poursuivi, sous la même qualification, le journaliste Daniel Mermet pour des émissions sur le Proche-Orient, que les tribunaux, Cour d’appel et Cour de cassation ont jugées équilibrées et répondant à une volonté légitime d’informer, y compris en ayant eu l’audace de donner la parole à des militants palestiniens.

Dans les actuelles poursuites, force est de constater que la rigueur du droit s’accommode mal des interprétations ébouriffantes de certains pétitionnaires.

Le passage poursuivi reprend intégralement et dans des termes identiques, une déclaration de Patrick Gaubert, Président de la LICRA publiée par Libération, contenant deux éléments factuels d’information :

 Jean Sarkozy va épouser une héritière des magasins Darty ;

 Il envisage de se convertir au judaïsme et d’adopter la religion de sa promise.

S’agissait-il d’une fausse rumeur ? Peut-être, mais elle émane du Président de la LICRA, selon Libération, qui la présente comme une information dont on peut supposer qu’elle a été vérifiée.

Siné a simplement ajouté une phrase de son cru « il ira loin ce petit ».

La polémique gonfle une partie de l’été, pourtant riche en informations qui éclairent sur l’évolution du monde. D’aucuns pensent « qu’olfactivement » ce texte fait respirer une odeur nauséabonde née de l’association des juifs et de l’argent ; d’autres y voient plus banalement une critique -fondée ou pas - de l’arrivisme de Jean Sarkozy, supposé s’être marié par intérêt, après avoir brillamment conquis, sur ses seuls mérites, un siège de conseiller général des Hauts-de-Seine.

Mais où sont les juifs et leur mise en cause dénigrante ?

La LICRA peut-elle, avec quelques chances de succès, poursuivre des propos tenus en partie par son Président ?

La langue française comporte une grammaire exigeante et il est utile de s’y référer.

Le sujet du passage dont Siné et Patrick Gaubert sont les coauteurs, c’est Jean Sarkozy. Il est nommément désigné et il est aisé, même au lecteur le plus obtus, de comprendre qu’il n’est pas juif, puisqu’il envisagerait une conversion à la religion juive.
Dès lors, comment y voir une mise en cause de l’ensemble des juifs pris dans l’universalité de leur histoire ?

Seul mis en cause, Jean Sarkozy a seul qualité pour agir en justice, s’il le souhaite, sous la qualification civile ou pénale qui lui apparaîtrait la plus appropriée. Aucune association ne peut se substituer à lui, car nul ne plaide par Procureur, dit un adage érigé en principe général du droit ; et la LICRA risque fort d’être déclarée irrecevable sans le moindre examen au fond.

Supposons cet obstacle franchi devant les magistrats lyonnais. La mention des origines juives de Mademoiselle Sebaoun-Darty ne relève pas d’une allusion perfide visant à la disqualifier, elle rend intelligible l’information sur la conversion supposée de son futur époux. En faire abstraction conduirait le lecteur à se demander à quelle religion se convertit Jean Sarkozy ou, s’il le sait par ailleurs, pourquoi choisit-il la religion juive ?
On comprend mal comment l’ensemble des juifs pourrait se sentir dénigré par les éléments divulgués de ce mariage qui, pour les plus croyants, s’accompagnerait de la perspective heureuse de l’arrivée d’un nouveau fidèle.

Reste la prétendue association « des juifs » et de « l’argent ». Mais les juifs sont absents du texte poursuivi, et la seule association que fait Siné, c’est entre l’argent et l’héritière Darty, réalité incontestable, qui le conduit à penser et à écrire que sa seule fortune a guidé le choix de Jean Sarkozy de la prendre pour épouse, et que ce dernier a agi par opportunisme et non par « amour ».

Cette information, contenant la même association d’idées, a d’ailleurs été largement diffusée par la presse : Le Nouvel Observateur présente même le couple en photos en ouverture d’un dossier consacré à la « France des héritiers ».

La justice peut toujours nous surprendre, mais on voit mal comment Siné pourrait être condamné. Enfin, cette affaire, après bien d’autres analogues dont j’ai l’expérience, montre l’utilisation récurrente de l’arme de l’antisémitisme comme instrument d’un combat politique contre ceux qu’André Taguieff qualifie, dans son dernier ouvrage, de « militants antisionistes, pervertis par les usages communistes, tiers-mondistes, arabo-musulmans et islamistes », qui manifestent, selon lui, leur haine du peuple juif en détestant l’Occident.

Cela fait du monde à faire taire et me conduit à laisser prudemment la conclusion à un haut magistrat parisien, heureusement de droite et n’entrant pas dans cette énumération :

« Au sein de la communauté juive existent des lobbies extrémistes qui, avec la lâcheté tétanisée de beaucoup et la solidarité irresponsable de quelques autres, portent gravement atteinte à la liberté d’expression. » [1]

Jean-Yves Halimi, avocat

Notes

[1Citation extraite du livre Le guignol et le magistrat sur la liberté d’expression, Philippe Bilger et Bruno Gaccio (Flammarion 2004)

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