Pierre Gattaz, le président du Medef (Mouvement des entreprises de France), affirme que les jeunes Français, à 60 %, veulent être entrepreneurs, alors qu’il y a vingt ans, ils voulaient tous être fonctionnaires. C’est vite dit. Et avec beaucoup d’arrière-pensées :
« Les jeunes générations raisonnent totalement différemment de nous. On pense qu’ils veulent tous un CDI. Et bien je vais vous dire : non. Il y a un pourcentage non négligeable aujourd’hui de jeunes qui ne veulent pas de CDI. Ils veulent en effet des missions, ils veulent des projets, ils veulent des chantiers, ils veulent autre chose. Alors, pas tous, pas tous… Mais donc tout ça, c’est un monde qui bouge, c’est un monde de jeunesse. Nos jeunes Français veulent être à 60% entrepreneurs. »
Alors, 60% de « nos » jeunes, comme dit Pierre Gattaz, veulent-ils être entrepreneurs ? Fuiraient-ils tous le fonctionnariat vers lequel ils auraient tous voulu se tourner il y a vingt ans ?
Et bien, il est bien hâtif de l’affirmer, voire abusif et faux, quand on regarde dans le détail le récent sondage sur lequel le patron du Medef s’appuie pour étayer son affirmation.
Pourquoi ?
Procédons par ordre : 60% de jeunes qui voudraient être entrepreneurs, ce chiffre, le patron du Medef le tient d’un sondage de l’entreprise OpinionWay sur « les jeunes et le travail ». Une étude qui a été réalisée en janvier auprès d’un millier de jeunes de 18 à 29 ans, à l’occasion du Salon des entrepreneurs qui se tient chaque année à Paris – cette grand-messe dédiée à l’entreprenariat.
Et que dit ce sondage ? Et bien certes, que 60 % d’entre eux disent qu’ils auraient un jour (« auraient », au conditionnel), soit « certainement » (pour 16 %) soit « probablement » (pour 44 %) « envie » – c’est le mot précis – de créer ou de reprendre une entreprise ou de se mettre un jour à leur compte. Mais une envie, si les mots ont un sens, ce n’est pas une volonté. Avoir envie, ce n’est pas nécessairement vouloir. Ce n’est pas non plus, et encore moins, comme l’ont titré Les Échos à propos de cette étude, être « prêts » à créer son entreprise.
Et justement, les pages suivantes du sondage nous renseignent sur ce point. Une envie ? D’accord, mais à quel horizon ? Et alors là, patatras, on s’aperçoit qu’un gros quart seulement de ces 60 %, veulent – là c’est bien le mot qui convient – se lancer concrètement dans l’aventure dans les deux ans : soit 16 % des jeunes de 18 à 29 ans… On est loin des 60 % affichés par le patron du Medef. Les Échos, toujours eux, s’en sont même pris les pieds dans le tapis, puisqu’au contraire du titre qui claironnait que 60 % de jeunes étaient « prêts » à créer leur entreprise, le corps du texte, lui, mentionnait très justement qu’il n’étaient en fait qu’ « un sur six »…
Il faut donc se reporter encore à une autre page du sondage pour cerner plus finement ce que souhaitent vraiment « nos » jeunes, comme dit Pierre Gattaz, pour leur avenir professionnel : et là nous pouvons voir que ce ne sont que 18% de ces jeunes effectivement qui souhaitent à l’avenir se mettre à leur compte, 36 % souhaitant en fait soit alterner des périodes de salariat et d’entreprenariat, soit, plus encore, combiner du salariat et de l’entreprenariat.
En fait, contrairement à ce que tente de laisser croire Pierre Gattaz, ces jeunes ne rejettent pas massivement la stabilité du CDI – d’ailleurs, le sondage montre que 73 % d’entre eux le considèrent toujours comme « un objectif majeur ». On peut juste dire, qu’avec bon sens, les jeunes sont simplement prudents dans l’éventuelle réalisation de leur « envie » d’entreprendre.
Pour tempérer l’enthousiasme du patron du Medef, qui voit donc – comme d’ailleurs le président Macron – des entrepreneurs partout, on pourrait aussi l’orienter sur la lecture d’autres sondages : une étude d’Ipsos par exemple, réalisée auprès des 15-30 ans, qui révélait, en 2012 – donc sans remonter aux calendes, il y a 20 ans –, que s’ils en avaient l’opportunité, les trois quarts des jeunes Français aimeraient bien devenir fonctionnaires, attirés qu’ils sont par la garantie de l’emploi…
En fait, il ne faut pas s’y tromper : à agiter comme une marionnette l’envie d’entreprendre manifestée par une majorité de jeunes, fût-elle encore hypothétique, en occultant leur envie concomitante de sécurité dans l’emploi, le patron du Medef ne fait qu’affûter ses armes dans la bataille qui s’annonce. Et dont le Contrat à Durée Indéterminée – le CDI–, est l’une des premières cibles.